In memoriam Joseph Beer

Jeune compositeur clairement influencé par la veine lyrique de Joseph Marx et les couleurs d’un Paul Abraham et autre Emmerich Kalmàn, orchestrateur de génie, Beer fait partie de ces compositeurs à la plume inspirée dont la voie semble toute tracée dans la culture austro-hongroise au début du XX°: celle du succès européen — autant dire, mondial. La guerre et les persécutions Nazies interrompent le cours de leur histoire. Certains meurent assassinés dans les camps, d’autres, comme Laks ou Beer, survivent à l’horreur des Années Noires, et sont cependant morts avec « les autres » : morts, parce que muets.

Ils disparaissent du paysage musical dont ils étaient l’un des éléments — une retraite volontaire. Cependant, ils continuent d’écrire, pour eux, prenant bien soin, inconsciemment et de mille manière possible, de n’être pas joués. Le poids de la culpabilité d’avoir survécu ? La sensation d’appartenir à une autre époque — celle d’avant — et de ne plus être en prise avec le monde et/ou la culture dans lequel ils survivent « après » ?

Dès lors, l’exploration de leur musique d’ « après » est tout aussi fascinante que celle composée « avant » et « pendant ». Beer s’automutile en refusant de laisser exécuter ses œuvres. Que contiennent elles donc de si profondément, voire dangereusement, personnel qu’elles ne puissent être révélées au public ? Quelles séquelles artistiques la guerre a-t-elle infligées à la muse du compositeur pour que ce dernier affirme à qui veut l’entendre que sa musique d’ « avant » n’a jamais existé, tout en évitant qu’on n’entende la musique d’après ?

La guerre a-t-elle remodelé Beer en un compositeur autre, effrayé de ne plus ressembler à ce qu’il pensait être avant-guerre, et conscient de la transformation artistique qui s’est naturellement – et à son insu – opérée en lui ? Indubitablement.

« Avant », « Pendant », « Après ». « Avant » l’extraordinaire foison créative pour la fin du dernier des Empires Européens, « Pendant » la plus totale des annihilations qu’ait subie la culture et l’humanisme, « Après » la tentation du silence comme seul témoignage de la mémoire ?

« Avant », « Pendant », « Après », trois périodes artistiques distinctes, trois richesses musicales qui brossent le portrait d’un compositeur brisé, fascinant, complexe, perfectionniste et obsessionnel, et s’expriment à travers cinq œuvres lyriques dont trois sont demeurées inédites à ce jour.

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